Résumé d’un webinaire du 18 février 2022
Participants
- Staci Strobl – Professeure de Justice criminelle à l’université de Shenandoah, Etats-Unis
- Jawad Fairooz – Ancien Membre du Parlement Bahreini, Président de Salam DHR, Royaume-Uni
- Devin Kenny – Chercheur spécialisé sur les pays du Golfe, Amnesty Internationale, Liban
- Ghassan Sarhan – Activiste bahreini pour les droits humains, avocat, Liban
- Dr Andrew McIntosh – Directeur de recherche pour Salam DHR, Royaume-Uni – Modérateur
Andrew McIntosh a ouvert la réunion en expliquant que le soulèvement de 14 Février et son héritage est souvent défini par une tragédie. Non seulement il est associé à de la violence et de la répression mais aussi à des promesses brisées. Bien qu’elle n’ait pas été sans défaut, la Commission d’enquête indépendante du Bahreïn (CEIB) a ouvert un chemin possible vers la réforme et la possibilité d’une réconciliation sociale. Cependant, la plupart de ces réformes n’ont pas été mises en place après plus de 11 ans. Cela signifie que les griefs sociaux, économiques et sectaires qui ont mené au soulèvement du 14 février persistent au Bahreïn, créant ainsi la possibilité d’une reprise des troubles. L’absence de réformes et le maintien de pratiques qui maintiennent la société bahreïnienne dans un état d’inégalité fondamentale a enfermé le pays dans un cycle de déstabilisation.
Staci Strobl, qui a pris la parole en premier, a expliqué comment et pourquoi – tous les dix ans environ – des bouleversements sociopolitiques importants se produisent au Bahreïn. Elle a décrit comment le système de répression semble fonctionner à court terme, mais comment son caractère sous-jacent d’illégitimité, et les limitations qui en découlent, servent à perpétuer les crises politiques. Elle explique que l’établissement par les autorités d’une hégémonie sunnite effective, qui se manifeste par la domination des récits nationaux, politiques et sociaux, est depuis longtemps une stratégie fondamentale du pouvoir Al Khalifa. La professeure Strobl a expliqué en détail comment cette structure de gouvernance, établie alors que le pays était sous le contrôle du Royaume-Uni, a servi à marginaliser, ghettoïser et asservir plusieurs communautés longtemps opprimées : « Elles restent victimes des structures de pouvoir du régime et ont peu d’incitations à accepter le système actuel tel qu’il est », a-t-elle observé. Elle a souligné qu’il ne s’agissait pas d’un phénomène nouveau mais d’un processus qui se reproduit depuis au moins un siècle, entraînant des cycles de troubles et de répressions.
Jawad Fairooz a ensuite expliqué qu’au moment de l’indépendance de Bahreïn, il y avait une promesse de gouvernement légitime, un partenariat que les gens attendaient : cela se reflète dans le libellé de la Constitution originale. Mais la famille Al Khalifa a renié la promesse – même vague – de respecter cet engagement, tandis que « la communauté internationale n’a pas réussi à faire pression sur Bahreïn pour qu’il respecte ses accords ». Faisant référence aux troubles cycliques évoqués par Staci Strobl, Monsieur Fairooz a détaillé les occasions manquées de réforme, notamment en 1973, 2001, 2006, 2011 et 2017. Le gouvernement, par exemple, n’a pas respecté les engagements pris dans le rapport 2011 de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn (BICI), censé traiter des graves violations des droits de l’homme commises par le gouvernement et ses agents au cours des premiers mois de 2011. On le retrouve également dans le non-respect systématique par le gouvernement de Bahreïn (GoB) des engagements pris devant les organes de traités successifs des Nations unies – dans le cadre de contrats juridiquement contraignants ou de l’examen périodique universel (EPU) par les pairs, au cours duquel les représentants d’autres États membres des Nations unies formulent des recommandations à leurs homologues diplomatiques. Jawad Fairooz a également fait valoir que « l’échec des pressions exercées sur Bahreïn est évident du fait que les gouvernements britannique et américain ont déclaré que si les groupes d’opposition participaient aux élections, ils feraient pression sur le gouvernement bahreïni… ». Et pourtant, les années précédentes, même avec la participation de l’opposition aux élections, le GoB n’a pas réussi à réformer ou à s’engager dans des réformes. Pourtant, les gouvernements américain et britannique n’ont pas réussi à faire pression sur le GoB pour qu’il mette en œuvre une réforme politique significative. Jawad Fairooz a conclu en déclarant que « malgré tous les défis [auxquels] l’opposition a été confrontée, elle reste engagée en faveur d’un changement pacifique et je pense que le régime sera finalement contraint de faire des concessions. »
Devin Kenney a détaillé comment plusieurs partis politiques – ou associations – et un journal indépendant, Al-Wasat, avaient été enregistrés ou établis au début des années 2000 avant que le GoB ne les interdise dans les années 2010. Faisant à nouveau allusion au cycle de répression et de réforme superficielle, Kenney a soutenu que cela constituait un « processus en accordéon », par lequel les autorités procèdent – de manière cyclique – à une libéralisation limitée, suivie d’une répression, masquant ainsi son caractère autoritaire.
Ghassan Sarhan a ensuite exposé les nouvelles mesures procédurales restrictives en cours de discussion au parlement. Elles semblent destinées à « réduire le peu de responsabilité qui subsiste dans le système juridique », y compris des mesures restreignant les déclarations considérées comme portant atteinte à l' »ordre public » ou à l' »intérêt national ».
Lors de la séance de questions-réponses, Jawad Fairooz a répondu à une question sur la manière dont la réforme pourrait être réalisée. Il a déclaré que « la réforme ne peut venir qu’à la suite de pressions exercées par des pays comme les États-Unis. »
En réponse à une question sur la probabilité d’une autre manifestation de masse ou d’une répression, Devin Kenney a déclaré que rien n’était inévitable mais que la situation actuelle ne permettait pas la stabilité.
Ghassan Sarhan, répondant à une question sur la plus importante des réformes juridiques, a expliqué que « le fait de permettre aux citoyens d’adresser directement des pétitions à la Cour suprême, comme la Constitution est censée le permettre, était nécessaire ». Il a observé que cela n’était pas mis en œuvre.
En réponse à la question sur les bénéfices d’un nouvel ordre politique, avec de nouveaux partis, Jawad Fairooz a conclu en disant qu’il pensait que le gouvernement tentait de fabriquer une opposition qu’il pourrait contrôler tout en maintenant des interdictions sur les partis qu’il considère comme une menace électorale. Il a affirmé que de telles pratiques ne pourraient jamais conduire à l’instauration d’une véritable démocratie dans le pays.