Ce jeudi-là, une partie des membres de SALAM for Democracy and Human Rights ont pris place dans le cinquième bureau du Palais Bourbon afin d’assister aux interventions de spécialistes du Golfe. Cet événement a été conçu et organisé par Marc Pellas, économiste et collaborateur du Monde diplomatique depuis 1973 pour les questions de sécurité dans le Golfe et la péninsule Arabique, ainsi que Bernard Dréano, coprésident du Centre d’études et de solidarité internationales et auteur de deux ouvrages relatifs aux révolutions arabes et aux luttes pour la paix au XXIe siècle. Pour cette rencontre, ils ont tous deux collaboré avec Gwendal Rouillard, député du Morbihan et membre de la Commission de la défense au sein du parti La République en Marche. Un collectif de huit éminents spécialistes de la question ont participé à cette rencontre.
L’objectif principal de cette journée a été de faire le point sur la situation politique, sociale et relative aux droits humains qui agite Bahreïn, tout en replaçant ce contexte dans son environnement géopolitique et pour mettre en place des pistes de réflexion afin que le pays sorte de la crise qu’il connaît actuellement. Cette réflexion était également dirigée vers les voies qui s’offrent à l’Union Européenne pour contribuer à l’apaisement des tentions internes et internationales qui englobent cette situation, mais également pour relancer une politique plus intégratrice et respectueuse des droits humains.
Les quatre heures qui étaient dédiées à ce sujet étaient divisées en deux parties : la première séquence était consacrée à l’analyse des problèmes politiques, sociaux et des droits humains du pays, et la seconde à sa situation géopolitique dans un contexte de tentions au niveau des relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.
SALAM for Democracy and Human Rights a facilité l’organisation de cette rencontre et a également couvert l’évènement en direct sur ses comptes Twitter et Instagram. Ils ont aussi aidé à la réalisation de l’interprétariat en français et en anglais pour l’un des intervenants : Ali Al-Aswad.
L’intervention de Maytham Al-Salman, lue par M. Pellas, portait principalement sur la situation actuelle que connaît le pays. Il a fait part de son inquiétude concernant les lois mises en place, ainsi que les agissements engagés sans aucune considération des droits humains fondamentaux. Il a terminé son intervention par le cas de Nabeel Rajab, qui a par ailleurs reçu la citoyenneté d’honneur le 18 juin, actuellement en prison et dont aucune des organisations non gouvernementales n’a eu de nouvelles jusqu’à ce jour.
Antoine Madelin a partagé cette inquiétude. Ce dernier est directeur du Plaidoyer international de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Il a souligné que Nabeel Rajab a été condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement pour avoir « diffusé une fausse rumeur en temps de guerre », en raison de sa dénonciation du nombre de civils tués pendant la guerre au Yémen. Le deuxième chef d’accusation retenu contre lui est pour « outrage aux institutions nationales » car il a révélé les cas d’usage systématique de la torture au sein des prisons bahreïniennes. Cependant, Antoine Madelin n’a pas seulement détaillé le cas de Nabeel Rajab, il a également mentionné celui d’autres prisonniers maintenus en détention pour des raisons indéfinies. Il a demandé que justice soit faite et que la FIDH était de plus en plus préoccupée par les violations des droits humains qui se produisent à Bahreïn. De plus, la FIDH n’étant pas la seule organisation à soutenir la libération des prisonniers politiques, M. Madelin a insisté sur l’importance que des actions soient concrètement mises en place ou que cette situation soit au moins prise en compte par la communauté internationale. SALAM for Democracy and Human Rights a couvert son intervention sur Twitter.
Après l’intervention de M. Madelin, une table ronde s’est ouverte afin de répondre aux questions concernant les droits humains. M. Madelin avait précédemment mentionné le cas de Bahreiniens et de Bahreïniennes dont la nationalité a été récemment révoquée. Claire Beaugrand, chercheuse attachée l’Institut des Études Arabes et Islamiques de l’université d’Exter, a demandé si ces décisions relevaient d’un jugement officiel d’une cour de justice ou non. Son interlocuteur n’a pas pu éclairer davantage sa réponse car les informations qui lui sont parvenues sur ces cas étaient jusqu’alors très floues.
Après la clôture de la table ronde, Laurence Louër a mis en valeur « l’impact des dynamiques sociales et confessionnelles sur la vie politique bahreïnienne ». Son intervention a également été filmée et retransmise en direct sur le compte Twitter de SALAM for Democracy and Human Rights:
Cette dernière a notamment développé l’historique du conflit entre les communautés chiites et sunnites. La situation affecte par ailleurs les décisions politiques prises par la minorité sunnite, ce qui participe à l’invisibilisation de la majorité chiite à Bahreïn.
M. Ali Al-Aswad, ancien membre du Parlement de Bahreïn, et représentant du parti progressiste Wifaq, a mentionné lors de son intervention les répressions systématiques des autorités nationales contre le peuple bahreïnien ; au point que le pays semble davantage glisser vers une forme de dictature en s’éloignant toujours plus de ses fondements démocratiques. C’est en opposition à ce revirement de situation politique que le « Document de Manama » avait d’ailleurs été publié. Les propositions qui y étaient détaillées étaient de nature modérées et progressistes, et les demandes de réformes politiques et sociales du parti de l’opposition étaient clairement expliquées. Néanmoins, le dialogue que le parti sollicitait au moment du soulèvement populaire n’a jamais eu lieu et le roi a demandé aux troupes saoudiennes d’étouffer violemment les manifestations à la vieille des négociations. M. Al-Aswad a également appelé à mettre fin aux discriminations auxquelles les bahreïnien.nnes font face à l’heure actuelle. Pour aller dans ce sens, le Wifaq a rédigé le « Principe de déclaration de non- violence », mais aucune de leur tentatives n’a été prise en considération par le roi. Par ailleurs, en 2011, la BICI (Commission d’Enquête Indépendante de Bahreïn) a publié vingt-sept recommandations afin de mettre un terme aux violations des droits humains qu’ils avaient observés et étudiés durant le soulèvement de cette même année, ainsi qu’aux mesures répressives qui s’en étaient suivies. Pour autant, le nombre de prisonniers politiques n’a fait qu’augmenter de façon spectaculaire. Cheikh Ali Salman en est un exemple probant. Ce dernier, qui a pourtant appelé à résoudre le conflit entre le peuple bahreïnien et la famille
royale, a été condamné à une peine de quatre ans d’emprisonnement, que les autorités cherchent à allonger. Les quartiers généraux du Wifaq ont aussi été attaqués et le parti est devenu interdit. Tous ses anciens membres n’ont aujourd’hui plus le droit de vote et Ali Al- Aswad n’est plus autorisé à se présenter à la députation depuis le 18 avril 2018.
M. Al-Aswad a signifié que seul un dialogue clair et pacifique entre les partis d’opposition et les autorités nationales serait envisageable pour amener à une résolution du conflit. Il a également réclamé la présence de Cheikh Ali Salman en personne afin d’engager ce dialogue. Selon lui, le roi doit absolument laisser le droit au peuple de Bahreïn de manifester en toute liberté. Pour terminer, il a demandé à ce que la communauté internationale soutienne ces actions car Bahreïn dépense actuellement des sommes astronomiques afin de dissimuler ses crimes et restaurer son image. M. Al-Aswad a conclu son intervention en révélant la nouvelle initiative de Wifaq : « La Déclaration des Principes et des Intérêts Communs », qui inclut leur perspective sur la résolution de la crise politique du pays. Si la communauté internationale les rejoint, ces intérêts communs pourraient aider le peuple bahreïnien, ainsi que les générations futures à entrevoir un avenir plus serein.
Par la suite, Claire Beaugrand a partagé son point de vue sur la façon dont la famille royale gérait les oppositions à Bahreïn. Elle a également explicité les conséquences politiques qui découlent de la crise actuelle.
La seconde partie de la rencontre a été constituée de quatre interventions. M. Gilbert Achkar, Professeur en Études de Développement et en Relations Internationales à l’université de Londres, était le premier intervenant. Il a principalement fait part de la situation géopolitique actuelle des pays du Golfe, et du rôle que tenait l’Arabie Saoudite dans le contrôle et la répression systématique de l’opposition.
M. Olivier Da Lage, rédacteur en chef à RFI (Radio France Internationale) a exposé la relation insidieuse entre dictature et communication, en prenant pour exemple le contrôle exercé par l’Arabie Saoudite sur Bahreïn. En 1971, le pays était autonome, mais afin d’exister par lui même, il a dû dégager une image de richesse, d’ouverture sociale et internationale, mais aussi de cosmopolitisme. Durant le Printemps de Manama, le pays a pris ses distances avec l’Arabie Saoudite, qui entretenait des relations commerciales principalement avec les États-Unis. Les échanges commerciaux étant facilités, ils ont commencé à se développer à l’échelle internationale. Alors que Barack Obama, ancien président des États-Unis, soutenait le dialogue,
Donald Trump s’y oppose. C’est pourquoi la famille royale a choisi de renforcer ses liens avec l’Arabie Saoudite pour ne pas être sujette à une moindre visibilité à l’échelle mondiale.
Mr. Pierre Conesa, ancien directeur adjoint de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la Défense, et président de l’HOMID (société de conseil géopolitique), a illustré ce point en insistant sur la méconnaissance de cette situation par la communauté internationale ; méconnaissance qui est due au fait que Bahreïn dépend principalement de la communication extérieure de l’Arabie Saoudite, qui bloque toute fuite d’information. La relation entre les États- Unis et l’Arabie Saoudite relève du lobbying, ce qui contribue à rehausser l’image de ce dernier tout en dissimulant la situation problématique à Bahreïn.
Pour finir, Alain Gresh, ancien éditeur en chef du Monde Diplomatique, et directeur actuel d’OrientXXI, a mentionné que la « guerre contre le terrorisme » de l’occident était en réalité une façon de justifier un discours de guerre, ainsi que toute forme de répression. La communauté internationale doit donc s’extraire de ce discours afin d’ouvrir une voie pour le dialogue entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.
M. Ali Al-Aswad a spécifié que Bahreïn était désormais utilisé pour la situation des pays du Golfe contre Qatar, alors qu’il a tout à perdre de cette manipulation. Bahreïn est aussi le pays le plus pauvre du Golfe et ne reçoit aucune aide de par sa relation avec l’Arabie Saoudite. Ali Al- Aswad a clôturé son intervention en mentionnant l’exemple des répressions contre le soulèvement de 2011 par l’Arabie Saoudite, d’où l’importance cruciale d’un dialogue, ainsi que de l’aide de la communauté internationale afin de résoudre cette situation.